. Conférence
Mercredi 30 novembre à 19h00 dans le cadre des mercredis de Montevideo.
Lorsque je lis, une voix en moi m’intime de lire (« lis ! »), tandis qu’une autre s’exécute, prêtant sa voix à celle du texte, comme le faisaient les antiques esclaves lecteurs que l’on rencontre notamment chez Platon. Lire, c’est habiter cette scène qui, même lorsqu’elle est intériorisée dans une lecture apparemment silencieuse, reste plurielle : elle est le lieu de rapports de pouvoir, de domination, d’obéissance, bref, de toute une micropolitique de la distribution des voix.
Mais l’écoute attentive de la polyphonie vocale inhérente à la lecture conduit vers ses zones sombres. En prêtant ainsi l’oreille aux rapports conflictuels des voix lisant en nous, on est aussi conduit à revisiter l’idée, si galvaudée depuis les Lumières, selon laquelle lire libère. Les zones sombres de la lecture sont en fait ses zones grises : là où lectrices et lecteurs, en faisant l’épreuve des pouvoirs qui s’affrontent dans leur for intérieur, s’inventent, deviennent autres.
L’archéologie du lire que développe Peter Szendy dialogue avec nombre de théories de la lecture, mais elle s’attache aussi à ausculter, d’aussi près que possible, de fascinantes scènes de lecture orchestrées par des écrivains aussi divers que novateurs.
Gratuit
Montevideo, 3 impasse Montevideo, 13006 Marseille
. Workshop « Une expérience de lecture »
Vendredi 2 décembre de 17h00 à 19h30 et samedi 3 décembre de 10h00 à 17h00 à la Cômerie
Depuis sa création, Alphabetville s’intéresse et soutient la diversité des pratiques d’écriture comme de lecture, qui sont bien sûr inséparables et forment ensemble une culture. Mais la variabilité de leurs conditions, modalités et accès déforme et transforme tout autant cette culture.
Aussi, l’invitation faite au philosophe Peter Szendy prend tout son sens, ainsi que sa proposition d’une expérience de lecture, visant une prise en compte — voire une prise de conscience — de la transformation historique de cette pratique, dont témoignent de nouvelles manières de lire, actualisées, acculturées aux conditions et aux dispositifs technologiques.
Pourrait-on parler dès lors d’une écologie de la lecture passant par de nouvelles poïétiques des lecteurs ? Ce qu’il s’agit de défendre, ce sont des modalités de lectures diversifiées et non subies ou machinales, des pratiques lisantes à réinventer comme s’invente aussi le lecteur en lisant, ainsi que le rappelle Peter Szendy dans Pouvoirs de la lecture. De Platon au livre numérique.
De fait, lire, selon Peter Szendy, c’est se prêter à un partage des voix, au double sens d’une mise en commun et d’une répartition ou division des voix. L’histoire de la lecture en témoigne, dans son devenir silencieux ou muet qui est le fruit d’une intériorisation.
Lorsqu’on lit silencieusement, tous les rôles vocaux sont à l’œuvre, au travail. Ils interagissent, comme si nous devenions le théâtre d’un partage vocal. Un partage auquel il faut prêter l’oreille, qu’il faut cultiver, voire réaffirmer, en particulier dans des situations de lecture qui tendent à le masquer, à l’effacer sous un appareillage technologique que l’on pourrait qualifier d’uniformisant, voire d’univocalisant.
Et aujourd’hui plus que jamais, à l’ère de l’hypertexte, lire, c’est faire l’expérience des puissances et des vitesses qui nous traversent et trament notre devenir.
Lewis Wicke Hine, A reader in a cigar factory, Tampa, 1909
Aussi cette expérience de lecture propose-t-elle un temps singulier, asynchrone, où la lecture sera abordée selon la notion de « différentiel de vitesse » que Peter Szendy a élaborée dans ses derniers ouvrages.
Telle qu’il la fait travailler dans l’expérience de la lecture, ce différentiel de vitesse est tout simplement une conséquence du caractère polyphonique de l’acte de lire. En effet, s’il est vrai, comme il en fait l’hypothèse, qu’il y a plusieurs voix divergentes, voire conflictuelles, en jeu dans la lecture, alors elles entrent dans des rapports réciproques de lenteur et d’accélération — des rapports hétérochrones —, elles s’écartent ou se rapprochent l’une de l’autre, elles anticipent ou retardent l’une sur l’autre.
L’expérience — individuelle et collective — de lecture est proposée sous la forme d’un atelier, ou d’un laboratoire temporaire, dont la structure et la durée sont :
- d’une part, un temps d’échange autour de ces problématiques de la lecture ;
- d’autre part, une journée d’expérience de lecture à partir d’un corpus de textes.
Ce corpus textuel est composé d’extraits divers et relativement courts, de manière à pouvoir être lus plusieurs fois et différemment, ce qui permettrait la comparaison.
Leur lecture à voix haute, sans mise en scène mais avec une mise en espace, s’attacherait à distribuer le texte entre des voix choisies, en variant la distribution, la vitesse de lecture ainsi que la distance entre les lieux d’émission (les voix pouvant être proches jusqu’à se confondre ou éloignées jusqu’à nécessiter l’intervention d’un médium). Il s’agirait donc d’expérimenter la relecture comme redistribution des voix, y compris celles des auditeurs, qui pourraient intervenir en lisant à la manière d’un chœur antique.
Corpus indicatif d’extraits de textes pour l’expérience de lecture :
Aristophane, Les Cavaliers ; Platon, Phèdre ; Paul Valéry, « Mon Faust » ; Walter Benjamin, Je déballe ma bibliothèque ; Italo Calvino, Si une nuit d’hiver un voyageur…
Ouvert à tous (professionnels, amateurs, public adulte)
Participation aux frais : 10 euros
Information et inscription : alphabetville@orange.fr
La Cômerie, 174 rue Breteuil, 13006 Marseille